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Tiré de "Science et Vie", mai 1983, N 788 (page 62) LE GÈNE DE LA TIMIDITÉ Des traits de caractère comme la timidité, qui sembleraient à première vue liées à l'environnement social d'un enfant, seraient des traits héréditaires. C'est du moins ce qu'affirment le Dr Robert Plomin, de l'université du Colorado, et le Dr David C. Rowe, de l'Oberlin College. Ces deux psychologues ont fondé leur étude sur les réactions d'enfants entre un et deux ans à la vue d'étrangers dans leur maison, et ils se sont servis essentiellement de ces deux cobayes du comportement humain que sont les jumeaux et les enfants adoptés. Les vrais jumeaux, issus du même ovule, ont rigoureusement le même génome, tandis que les faux jumeaux ne sont pas plus proches génétiquement que s'ils étaient frères, puisqu'ils proviennent de deux œufs fécondés séparément. Or, l'équipe américaine a montré que les faux jumeaux peuvent réagir de façon totalement différente face à deux étrangers qui envahissent leur demeure et que les vrais jumeaux se comportent toujours de la même manière, manifestant, soit de la curiosité et de l'intérêt, soit de la timidité. Cette timidité de la petite enfance disparaît rarement chez l'adulte et il aurait été logique de penser que c'était par osmose des parents que les enfants contractaient ce trait caractériel. Mais en observant un enfant adopté, on a la possibilité de comparer son comportement, d'une part à celui de ses parents adoptifs, qui représentent son environnement, et d'autres part, à celui de ses vrais parents d'où proviennent son hérédité. Et c'est après avoir comparé les cas de centaines d'enfants adoptés et de jumeaux que les deux médecins sont arrivés à la conclusion que la timidité est héréditaire. Curieusement, deux vrais jumeaux qui montrent la même réticence envers un étranger, ne réagiront pas de façon identique envers un proche, ou même leur propre mère, ce qui tendrait à montrer que, contrairement à la timidité, la sociabilité est plutôt un trait de comportement appris. Ceux qui considerent la timidité comme une maladie (généralement ceux qui en souffrent), n'ont donc pas tout à fait tort, puisqu'elle semble être régie par les mêmes lois génétiques que d'autres comportement dits anormaux, comme la dyslexie, le bégaiement, la schizophrénie et même l'alcoolisme. Les enfants d'alcooliques chroniques, même placés dans une autre famille, courent plus de risques d'être alcooliques que des enfants adoptés de parents non-alcooliques. Mais la découverte la plus probante de toutes est due au Dr Herbert Lubs, de l'université de Miami. La dyslexie seraient due à une anomalie d'un gène encore peu connu sur le chromosome 15. Ce gène présente apparemment les mêmes caractéristiques chez un certain nombre d'enfants souffrant de difficultés pour lire et se retrouve chez un pourcentage pouvant aller jusqu'à 30% des proches parents de l'enfant, qui présentent la même inaptitude. Ces données vont réactiver le débat entre éthologistes et généticiens. Jusqu'à présent, on hésitait à prêter à l'hérédité l'entière responsabilité de problèmes comportementaux comme la schizophrénie, préférant parler de "prédisposition génétique" à la maladie. Du reste les facteurs déclenchant la psychose sont très mal connus, à part certaines situations, dites "génératrices de stress", comme la mauvaise entente des parents. Mais d'ici peu, on apprendra peut-être que certaines personnes possèdent un gène "schizophrène" qui s'activerait lorsque la quantité d'adrénaline ou d'une hormone quelconque dans le sang augmenterait anormalement sous l'effet des pressions extérieures. Robert Bridges, de Harvard, a bien découvert en 1982 qu'une simple augmentation du taux de morphine dans l'organisme pouvait provoquer chez une mère le syndrome de rejet de son enfant. Il émet même l'hypothèse que la fameuse dépression post-natale, qui a suscité tant d'intérêt chez les psychiatres, n'est peut-être due qu'à la quantité d'opiacées administrées pendant l'accouchement pour diminuer la douleur! Mais il serait très dangereux de supprimer complètement le rôle de l'environnement dans ce débat. Bien avant les études de comportement chez l'homme, les mêmes questions se posaient déjà à propos de l'intelligence. Les théoriciens racistes contestent qu'un fossé culturel ou social puisse expliquer la différence de quotient intellectuel observé dans les écoles entre les Européens et les minorités ethniques. Seule l'hérédité était en cause, ce qui pouvait une fois pour toutes qu'il y avait des races supérieures et des races inférieures. Malheureusement, le test Binet, base de toutes les mesure de QI, ne juge que l'acquis d'un enfant et non ses aptitudes fondamentales. De nombreuses études qui devaient prouver le contraire avaient été fondées en grande partie sur des statistiques falsifiées, comme celles de Sir Cyril Burt dans les années 50. De nos jours, on accorde 50% d'influence aux deux protagonistes, l'hérédité et l'environnement. Mais est-il vraiment possible de séparer les deux facteurs? Même si l'on admet que les traits de caractère sont héréditaires, les parents vont se comporter différemment envers deux enfants différents. Les gènes vont donc être responsables d'un environnement particulier, qui à son tour favorisera l'expression de certains gènes par rapport à d'autres, et ainsi de suite. En fin de compte, c'est l'histoire de l'œuf et de la poule... |